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Décisions récentes du Tribunal fédéral suisse en matière d'interprétation des traités d'investissement



Depuis l'an 2000, le Tribunal fédéral suisse (TF), en tant que seule autorité compétente pour statuer sur les recours contre les sentences arbitrales rendues en Suisse [Loi fédérale sur le droit international privé (LDIP), article 191], a rendu 29 décisions relatives à des recours contre ou des demandes d’exécution de sentences arbitrales rendues sous l'égide de traités d’investissement. Parmi celles-ci, 15 décisions ont été prononcées entre 2020 et 2024, enrichissant non seulement la jurisprudence arbitrale suisse générale, mais également le corpus jurisprudentiel suisse spécifique aux traités d’investissement, en pleine évolution. Alors que la Suisse renforce son statut de juridiction favorable à l'arbitrage, les normes élevées et l’approche favorable adoptées par le TF consolident sa réputation de prévisibilité et de rigueur procédurale, faisant de la Suisse un siège privilégié pour les arbitrages d’investissement (y compris intra-UE) menés en dehors du cadre de la Convention de Washington établissant le CIRDI.


Dans une décision majeure du 3 avril 2024, le TF a pris une position opposée à celle de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire Moldavie c. Komstroy. Le Tribunal a confirmé que l’article 26 du Traité sur la Charte de l’énergie (TCE), qui établit l’arbitrage investisseur-État, n’est pas supplanté par le droit de l’Union européenne. Cette décision a ainsi validé que les différends intra-UE peuvent encore être soumis à l’arbitrage en vertu de l’article 26 et de la clause de survie prévue à l’article 47(3) du TCE [Décision du 3 avril 2024, 4A_244/2023, Espagne c. EDF, para. 7].


Le TF a également clarifié des questions importantes liées à la restructuration des investissements. Dans sa toute première décision annulant une sentence arbitrale dans un litige relevant d’un traité d’investissement, le TF a jugé qu’en l’absence d’une clause de

« déni d’avantages » ou d’« origine du capital » dans le texte du traité, le critère pertinent pour déterminer la compétence est la nationalité du détenteur de l’investissement. L’existence d’un « transfert de valeur » lié à une restructuration a été jugée non pertinente en termes de compétence, sauf en cas d’abus de droit [Décision du 25 mars 2020, 4A_306/2019, Venezuela c. Clorox, para. 3.4]. En outre, le TF a précisé que l’abus allégué dans une restructuration doit être évalué à la lumière de la prévisibilité du différend au moment de ladite restructuration [Décision du 25 mars 2020, 4A_306/2019, Venezuela c. Clorox, para. 3]. Cette prévisibilité est appréciée du point de vue d’un investisseur raisonnable. La charge de démontrer cette prévisibilité incombe à la partie qui en fait l’allégation. Si la prévisibilité est établie, la restructuration est présumée être liée au litige, sauf justification contraire apportée par l’investisseur [Décisions du 22 mai 2022, 4A_398/2021, Venezuela c. Clorox, para. 5.2.4 ; et du 24 août 2022, 4A_492/2021, Russie c. Yukos, para. 8.1].


Dans une autre interprétation clé concernant le TBI Singapour-Chine de 1985, le TF a estimé que, lorsque ce traité confie aux juridictions de l’État hôte la compétence pour évaluer la légalité de l’expropriation, tout en réservant aux tribunaux arbitraux celle portant uniquement sur les montants de l'indemnisation dûe, le traité doit être interprété comme limitant le champ d’action de l’arbitrage aux questions d’indemnisation [Décision du 11 janvier 2024, 4A_172/2023, Chine c. Asiaphos & als].


D’autres décisions récentes se sont penchées sur la définition d’un « investissement » au sens du TCE, notamment une décision affirmant que les prêts accordés à une société mère dans l’État d’accueil sont considérés comme des investissements dès lors qu’ils sont liés à une activité économique dans le secteur de l’énergie [Décision du 24 août 2022, 4A_492/2021, Russie c. Yukos, paras. 7.4.6-7.4.8]. Le TF a également clarifié que la légalité d’un investissement ne constitue pas une condition implicite de compétence, sauf si le traité le prévoit expressément. C’est le cas notamment des affaires relatives au TCE, où la légalité de l’investissement n’a pas d’incidence sur la compétence du tribunal arbitral en l’absence de clause explicite [Décision du 24 août 2022, 4A_492/2021, Russie c. Yukos, paras. 9.1.1-9.1.2 ; voir également Décision du 11 décembre 2018, 4A_65/2018, Inde c. Deutsche Telekom, para. 4.3.1].


Les récentes décisions du TF sur ces sujets apportent une clarté précieuse, non seulement aux praticiens de l’arbitrage, mais également aux négociateurs, à leurs avocats, ainsi qu’aux tiers financeurs. Elles témoignent de l’engagement de la Suisse envers une rigueur procédurale et une approche favorable à l’arbitrage, des éléments qui continueront à façonner l’arbitrage sous l'égide des traités d’investissement dans les années à venir.


 

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